Poèmes de Russie (1912-1920)
Les Poèmes de Russie (1912-1920) rassemblent la totalité des poèmes qui nous sont parvenus de Marina Tsvetaeva, depuis le premier recueil jusqu’aux adieux à sa Russie natale.
Extraits
Poésie lyrique (1912-1941), de Marina Tsvetaeva, Éditions des Syrtes, 2015
Les pigeons volent, argentés, perdus, le soir…
Que vienne sur toi
Ma bénédiction maternelle,
Mon pauvre petit corbeau!
Si noir, presque bleu
D’être noir, ton plumage
Rude, avide et chaude,
Ta couleur.
Il y en avait deux autres:
De même couleur – éteints en un éclair noir:
Lermontov et Bonaparte.
Je t’ai laissé partir au ciel,
Vole, libre, vole mon bien-aimé,
Les pigeons d’argent
Volent, soumis, bénis,
D’argent, au-dessus de toi.
(Tome I, Verstes (I), p. 247)
Masque et musique! Et le troisième,
Quel est le préféré? Il ne le dira pas,
Moi non plus.
Je sais seulement une chose
Par ma tête folle, je jure
Que ce n’est ni la mère ni la femme.
Je sais seulement une chose
Comme le masque et la musique,
Comme Moscou, le phare, l’aimant…
La tempête et la mazurka
Et ça commence par M.
_ Les mandarines ou la mer?
(Tome I, Autres poèmes (1917-1920), p. 747)
Il commence loin son discours, le poète
Il l’emmène loin, son discours, le poète,
Par astres, marques, chemins détournés,
Paraboles et fossés… Entre oui et non,
Et même jeté du haut d’un clocher,
Il fera un détour… Car la voie des poètes
Est celle des comètes… Rompus les liens
De causes à effet – rien de fixe!
Le front dressé – aucun espoir! Les éclipses
Des poètes ne sont pas dans les calendriers.
Il est celui qui brouille les cartes,
Mélange les poids, mêle les chiffres,
Il interroge le maître, lui – le disciple,
Et il bat Kant à plates coutures.
Dans le cercueil de la Bastille,
Il s’épanouit: toute la splendeur
D’un arbre en fleurs… Il est celui,
Dont on a tous perdu la trace,
Le train – toujours manqué
Car sa voie de poète
Est celle des comètes: il brûle pour chauffer,
Faire pousser? – Il déchire! Explosion, effraction!
Sa route – une courbe échevelée!
N’est pas inscrite dans les calendriers.
(Tome II, Après la Russie, « Les Poètes », p. 393)