La Limite de l’oubli
Le premier roman de Sergueï Lebedev (né en 1981) se présente comme une enquête. Ayant survécu, enfant, à la morsure d’un chien grâce à une transfusion sanguine, le narrateur cherche à connaître l’identité de celui dont le sang coule désormais dans ses veines et dont la personnalité recèle un mystère. On apprendra que cet homme aveugle qu’il appelle l’Autre Grand-Père – désignation qui conjugue lien et altérité – était gardien d’un camp du Goulag et avait causé la mort de son propre fils, qu’il a cherché à « remplacer » en adoptant le narrateur et en allant jusqu’à
se sacrifier pour lui.
La complexité de la figure de l’Autre Grand-Père ainsi qu’une écriture à la fois raffinée et dense, confèrent au livre de Lebedev une rare portée et profondeur. En effet, ayant grandi pendant la période de transition qui a suivi la Perestroïka et la chute du régime, Lebedev appartient à une génération héritière d’une mémoire historique « trouée » pour laquelle la violence politique – pourtant centrale dans la conscience collective des Russes – demeure fiction ou cauchemar.
La Limite de l’oubli est le premier roman d’un jeune auteur qui a su s’affranchir des limites imposées par l’effacement des années soviétiques. Il a mis au service de ce projet non seulement son talent littéraire, mais également son expérience de géologue qui l’avait conduit, à travers l’immensité de l’espace russe, vers les vestiges des camps et les paysages du Grand Nord, magistralement évoqué dans leur dimension à la fois mythique et politique.