Publié le 21 mai 2018

Le slave lui, se nomma mot

Les éditions Verdier

Sans doute l’un des plus beaux catalogues de littérature russe traduite en français.

Bien évidemment, les éditions Verdier, créées en 1979, ne peuvent pas rivaliser avec le géant Gallimard qui comptabilise environ 600 titres traduits du russe à son catalogue. Il ne s’agit pas de comparer mais de louer le travail réalisé par ce qu’on appelle une petite maison d’édition compte tenu de ses moyens modestes.
Exigence et opiniâtreté, et peut-être, sans doute, folie, sont les maîtres-mots qui semblent présider à la destinée de cette maison. Il faut tout cela pour se lancer dans la traduction intégrale des Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov que personne en France n’avait entrepris jusque-là.
On n’a pas peur de défier le temps, les modes. On fait le pari de l’éternel, on sait repérer le feu sous la cendre. Le monde ancien, celui rencontré dans les voyages, les espaces et les labyrinthes de Golovanov ou qu’on ne rencontre plus. Une littérature en quête d’un immémorial qu’il ne s’agit pas de raccrocher aux souvenirs mais de faire advenir au présent. Même s’il n’y a que quelques traces. Garder l’espoir, l’espérance malgré les catastrophes, malgré l’effondrement. Saisir ce qui survit, voir l’adventice défier l’asphalte et les ruines. Verdier c’est un hommage à l’essentielle et futile littérature, l’honneur rendu au poète fou, gardien de la raison, en plein délire stalinien.


Le catalogue russe des éditions Verdier se divise en deux collections.

Poustiaki

Collection dirigée par Anne Coldefy-Faucard et Luba Jurgenson

La collection « Poustiaki », nommée en mémoire du peintre Iouri Annenkov et de son roman autobiographique Povest o poustiakakh (« Histoire de riens »), ainsi qu’en hommage à Michel Heller qui nous a fait connaître ce texte, est née de l’idée de Vassili Rozanov selon laquelle c’est la littérature qui modèle l’Histoire et non l’inverse.
« Poustiaki » se veut donc une réaction à l’Histoire et n’établira aucune distinction dans son catalogue entre littérature (fiction) et document, reprenant en cela une tradition de la Russie qui est aussi la grande force de sa culture.
L’histoire envisagée sera principalement celle de la Russie (ce qui est le cas des « Poustiaki » de Iouri Annenkov). Elle se caractérise, notamment pour le vingtième siècle mais pas seulement, par une série de catastrophes et d’effondrements majeurs. « L’effondrement » représente d’ailleurs, au même titre que le « vide », un « lieu » important de la culture russe.
La culture russe est également traditionnellement en rupture avec les autres cultures, notamment européennes et occidentales. Ces points de rupture seront au centre de la collection « Poustiaki » et permettront de l’élargir, la culture russe offrant ici la possibilité de penser d’autres effondrements, sans doute moins grandioses et moins apparents que le russe, par exemple, celui de l’Occident.

Slovo

Collection dirigée par Hélène Châtelain et Catherine Perrel

Slovo : « mot », « parole » ; et avec une allitération, racine du mot « slave ».
Ainsi ceux qui parlent, écrivent, rêvent cette langue en seraient-ils étymologiquement, à une allitération près, les mots.
Et les mots y seraient donc pensant et agissant, au même titre que ceux qui les prononcent. L’un ne serait pas le parlé de l’autre, mais tous deux seraient à part entière, parlé et parlant en même temps.
Certains peuples, à leur origine, pour se désigner et naître à eux-mêmes, se sont nommés « hommes ». Le slave lui, se nomma mot. Et l’autre, du moins le plus proche, il l’appela « muet »…
Voulait-il signifier dans le champ de cette langue, qu’entre le mot et celui qui le prononce il y a dès l’origine fusion identitaire ?
Que le mot y serait non tant un assemblage de lettres (voyelles et consonnes, vocalises et constructions) qu’un être vivant, avec sa respiration, ses fatalités, son destin. Donc mortel – et pouvant donner vie, porteur d’hérédité, de maladies, apte à la folie, à la déviance, à la résurrection – et la reconnaissance des siens.
Il est des langues où le Verbe s’est fait chair, verticalité, flèche, épure. Ici, la chair s’est faite mot – sang, matière et souffle mêlés, et non dissociables sous peine d’amputation mortelle.
Est-ce pour cela que les aventures du langage (du slovo) y ont toujours – là-bas plus que nulle autre part – pris la forme de mutations-cataclysmes, d’exode, d’errance, d’épidémie, de rassemblement pèlerin, de quête de point d’eau, de traversée du désert. Car le mot, dans cette langue-steppe – où chaque vocable porte, visible et articulable, les strates de toutes ses migrations antérieures – fut, dès l’origine, porteur d’homme, plus peut-être que l’homme n’y fut porteur de mots.
Est-ce pour cela que l’aventure utopique fut – là plus que nulle autre part – question de mots ?
Suivre à la trace, de textes en textes, ces interrogations, c’est ce que, dans le cadre de cette collection de textes traduits du russe – slovo – nous voudrions tenter.

 

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