Publié le 21 mars 2018

Un écrivain, ça ne devrait pas parler

 
En principe, un livre et la lecture ne supposent pas forcément de contact direct entre l’auteur et son lecteur. Tout ce que tu avais à dire, tu l’as dit dans ton texte.
Alexis Varlamov
 

À quoi servent les salons du livre ?

Un écrivain, ça ne devrait pas parler. Ça ne parle jamais vraiment d’ailleurs. Vous pouvez venir au Salon du Livre de Paris et écouter ceux qui écrivent tel ou tel livre que vous avez aimé, ce ne sera jamais l’écrivain qui parlera. Vous n’entendrez, ni même ne verrez jamais l’écrivain. C’est peut-être cela la spécificité de la littérature par rapport aux autres arts – et certainement du théâtre et du cinéma aussi, la spécificité des arts de la parole -, c’est que l’artiste, l’homme qui se présente au public, ne peut que rester muet. Un écrivain ne pourra jamais réaliser une « performance », son discours sur son œuvre ne pourra jamais dépasser celle-ci à moins de la détruire. La seule « performance » que l’écrivain puisse produire c’est de ne plus écrire. C’est Rimbaud. J’abandonne ce que je fus. Je réfute même le poète en quelque sorte. Ou Henry Miller qui n’a jamais autant parlé de son œuvre qu’avant d’avoir écrit une seule ligne ! L’écrivain ne peut que desservir son œuvre, une fois qu’il en a accouché. Il commettra bien trop d’erreurs comme tous les parents. Une œuvre est bien trop importante pour la laisser entre les mains de son auteur. Une œuvre a un géniteur qui n’est ni le père, ni la mère de l’œuvre. Un écrivain est un géniteur qui abandonne sa progéniture. Il l’abandonne jeune, infante. Le lecteur est un parent adoptif qui lui donnera voix. D’ailleurs, l’écrivain est souvent très respectueux de cette division du travail. Il demeure souvent très pudique sur l’acte de création. Il répugne souvent à répondre aux questions sur sa façon d’écrire. Mais, notre époque déteste le sacré et exige la transparence. Elle ne croit plus au mystère de la création. Elle veut entendre que l’écrivain work hard comme tout autre « horrible travailleur ». Tout ça, pour trouver la formule gagnante pour en faire de l’atelier d’écriture ou des séminaires d’executive writing. Pour que des coachs puissent coacher et produire de l’écrivain comme on élève des poulets en batterie. Les Américains y réussissent très bien.

Balzac est-il devenu Balzac parce qu’il se couchait à 18 h et se nourrissait essentiellement de poires pendant qu’il rédigeait un roman ? N’est-ce pas plutôt la douze douzaine d’huîtres qu’il avalait en apéritif du repas gargantuesque qu’il ingurgitait après avoir écrit le mot fin (le mot « faim ») qui explique son génie ? Le secret de l’écriture n’est pas une technique, il est dans l’être même, il est dans l’œuvre. L’écrivain s’il respecte son œuvre et son lecteur ne pourra jamais livrer autre chose que des anecdotes qui pourront cependant être savoureuses. Un écrivain qui parle n’est jamais si intéressant que lorsqu’il s’efface. Un écrivain qui parle n’est intéressant que lorsque c’est le lecteur en lui qui parle. L’écrivain en public s’efface derrière le lecteur qu’il est. Ou il n’est pas. Un écrivain qui parle de son œuvre avec beaucoup de maîtrise et donc de recul me paraît toujours suspect. Il ressemble à un acteur qui évoque son personnage dans un film. Parmi les plus grands moments que j’ai vécus avec des écrivains sont ceux que j’ai passés à les écouter parler des autres écrivains ou des sujets qui les passionnaient, parfois très éloignés de la littérature, même si le livre restait le premier média de connaissance.

Alors à quoi servent les salons du livre ? Comme certains le disent, cela devrait s’appeler foires du livre. Salon, ça sonne mieux, ça fait un lieu où l’on cause, la foire, c’est le lieu où l’on marchande, où l’on commerce. Les Allemands sont moins Tartuffe qui appellent leur manifestation Buchmesse (littéralement foire du livre). D’ailleurs, pour être juste, le salon du livre de Paris semble avoir voulu évacuer le problème en se nommant dorénavant Livre Paris.

Les « rencontres », les conférences y sont souvent peu intéressantes, sauf quand les écrivains parlent des autres, des livres qui les ont marqués. Mais, c’est alors le lecteur qui parle et non l’écrivain. Un salon du livre devrait donc être une rencontre entre lecteurs pour être réussi. Quand vous mettez à table pour une heure quatre écrivains desquels il faut traduire les propos, calculez le temps de parole de chacun. Certes, il y a des rencontres où un seul écrivain est interrogé. Mais… relisez le début de ce texte !

Je n’ai aucun mépris pour le commerce. Les écrivains viennent dans les foires pour faire la promotion de leurs livres. C’est ainsi aujourd’hui. L’édition est aussi un commerce et l’on ne paie pas les salaires avec des livres qui ne se vendent pas ; même si, parce qu’on ne prête qu’aux riches, il est évident que sont mis en avant les livres qui se vendent bien, et donc leurs auteurs. Il faut savoir que les éditeurs y sont souvent de leurs poches au salon du livre de Paris. Il faut savoir qu’un livre, dans la grande majorité des cas, c’est un prototype, c’est un pari, une légende dont on peut attendre démons ou merveilles. Un nouveau livre, c’est un nouveau produit qu’on lance, publier un livre revient à se soumettre aux lois de la grande industrie alors qu’on est un artisan. Cependant, un salon du livre comme celui de Paris permet de faire venir des écrivains peu connus ou débutants. Cela peut lancer une carrière si les poids lourds ne les écrasent pas.

En écrivant ce texte se précise en moi ce que nous voudrions faire de Knigi. Un événement comme Livre Paris auquel nous aurions aimé être vraiment associé est source à la fois de frustrations et d’enthousiasme. Frustrations parce que, se dit-on, c’était le moment pour Knigi de monter ce dont il est capable. Il est bon de retrouver cette candeur adolescente, cette croyance que le monde n’attendait que vous, d’être porté par un désir puissant et pur. On voulait en fait rivaliser avec Livre Paris ! Faire mieux même ! Comme on n’a plus vingt ans, on s’est rapidement rendu au principe de réalité. Et c’est tant mieux. Voilà notre enthousiasme. Parce qu’on veut faire mieux qu’un salon du livre ! C’est tous les jours que nous voulons faire foire et salon, tous les jours que nous voulons offrir, je dis bien « offrir », un stand aux éditeurs, que nous voulons faire commerce de livre (indirectement, nous ne vendrons pas les livres), tous les jours que nous voulons parler des livres (russes) et faire parler tous les lecteurs, qu’ils soient écrivains, traducteurs, professeurs ou tout simplement amateurs de littérature russe.

Ceci étant dit, nous vous encourageons à vous rendre dans les foires ou les salons, non pas pour voir les écrivains mais pour que les écrivains vous y voient.

Philippe Menestret

 

Un commentaire

  • Laurent MARTIN dit :

    Très belles chroniques de Ph. Menestret sur les salons du livre et les romans de Varlamov.
    Oui, un écrivain n’a pas à parler, mais cela peut aider la diffusion du livre, comme les manifestations publiques autour des livres. Et Knigi est une mine si l’on s’intéresse à la Russie et à ses écrivains. Merci!

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