Publié le 10 janvier 2018

Moscou ne croit pas aux larmes

Affirmons-le d’emblée : notre curiosité pour ce film et son grand intérêt ne résident pas dans le fait qu’Hollywood lui décerna l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Il ne fut pas le seul film soviétique à recevoir un Oscar et ils furent nombreux nominés à cette compétition.

Cependant, une telle distinction en dit beaucoup sur Moscou ne croit pas aux larmes. C’est un film populaire qui a connu un très gros succès en Union soviétique. Le film de toute une génération. En 1999, de nombreuses manifestations fêtèrent les 20 ans du film.

Le film démarre en 1958 et raconte l’histoire de trois jeunes femmes provinciales pensionnaires d’un foyer de jeunes ouvrières à Moscou, venues chercher un destin meilleur dans la capitale. Trois jeunes femmes très différentes. Katerina qui recherche l’amour avec un grand A et veut sortir de sa condition d’ouvrière. Lioudmila, elle, est en quête du bon parti. Antonina dont le destin est tracé dès le début du film. Fiancée, elle va bientôt se marier.

Moscou ne croit pas aux larmes est – comme le titre l’indique – un mélodrame léger qui ne se résigne pas au malheur et à l’échec. Par son ton « édifiant », il rappelle certains films de Frank Capra – La Vie est belle, par exemple. Pour l’esthétisme, on se risquera à évoquer Douglas Sirk tant les décors, les costumes sont choisis avec soin et avec un goût prononcé du détail.

Cadrage, mise en scène et le montage vif et enlevé finissent de faire de ce long métrage un excellent film que l’on prend plaisir à regarder et qui dit des choses essentielles sur la société soviétique des années 50 et surtout sur l’URSS des années 70.

Il est intéressant de découvrir que du point de vue des mœurs, Russie et Occident sont au coude à coude. Il est indécent de s’embrasser dans les rues de Moscou. Katerina accouche d’une fille sans père, ce qui est scandaleux. Mais, le mari d’Antonina, bonne pâte, permettra à Katerina de faire bonne figure à la sortie de la maternité.

Les apparences sont trompeuses aurait pu être le titre du film. La ville et la modernité sont les lieux où règnent vice et faux-semblants. On peut y construire sa vie sur un mensonge, sur des mensonges. Mais, le réel a vite fait de se rappeler à soi. La ville et la modernité sont des pièges pour des jeunes filles livrées à elle-même. Mais, heureusement, la société soviétique a évolué et a une place à offrir à chacun s’il sait s’amender, s’il est capable de reconnaître ses erreurs.

Katerina, subjuguée par le beau gosse de la télévision, Roudion, être fat, flagorneur certain d’être à l’avant-garde de la modernité, et que l’on retrouvera vingt ans plus tard confit dans ses mêmes phrases toutes faites : « la télévision est appelée à bouleverser l’existence du monde civilisé », toujours simple cadreur. Roudion, un être sans avenir, qui prendra prétexte du mensonge de Katerina – elle s’est fait passer pour la fille d’un grand professeur d’université parce que Lioudmila lui avait demandé, alors qu’elle est une simple ouvrière – pour la quitter alors qu’elle est enceinte. Roudion veut bien du faux-semblant, de l’hypocrisie mais il faut que ça brille, qu’il y ait des paillettes.

Moi je suis ajusteur, la catégorie supérieure

C’est sur le destin de Katerina que le film est centré. Sa « faute » de jeunesse ne l’a pas empêché de devenir, une quinzaine d’années plus tard, une femme accomplie dans son travail, directrice d’usine et conseillère municipale. Cependant, elle vit sans homme depuis toutes ces années. Elle trouvera enfin l’amour véritable en la personne de Georgui, ouvrier qualifié, ouvrier supérieur comme il se définira lui-même, ouvrier aux mains d’or, modeste mais sûr de lui-même, de sa virilité. Il est ajusteur. Celui sans qui… « Nous avons au laboratoire des agrégés et même des docteurs, ils seraient partis à la retraite il y a cinq ou dix ans, que nul n’aurait remarqué leur absence. L’année dernière en revanche quand Gocha a dû être hospitalisé (…) sept de nos dix ateliers ont dû cesser le travail. » dit de lui un de ses collègues ouvriers lors d’un pique-nique pour son anniversaire.

Georgui, c’est l’ajusteur, celui qui permet aux machines de tourner juste et aux rapports homme/femme d’être bien réglés. Katerina le laissera croire qu’elle est simple contremaître à l’usine et ce nouveau mensonge que Georgui va découvrir à la fin du film donnera lieu à un ultime coup de théâtre.

A travers ce couple, le film pose la question du féminisme, et on peut affirmer que Moscou ne croit pas aux larmes est un film féministe, un film qui défend la place de la femme dans la société soviétique. De toutes les femmes. Qu’elle soit mère au foyer comme Antonina, femme simple, femme du peuple, veillant sur sa progéniture et son mari, offrant des jeunes pionniers au socialisme ou qu’elle soit une femme qui a de hautes responsabilités professionnelles comme Katerina. Deux femmes qui travaillent à l’édification du socialisme.
Lioudmilla, elle, dont la vie est un échec attend toujours que la chance lui tombe dessus. Elle a épousé ce joueur de hockey trop modeste, trop gentil qui finira par céder aux flatteries et acceptera de porter à ses lèvres les toasts en son honneur et sombrera dans l’alcool. Moscou, le monde moderne, la notoriété sont des lieux à éviter pour les agneaux. La voilà aujourd’hui, Lioudmilla admirant, fantasmant sur un général qui vient prendre un costume à la laverie où elle travaille. « J’aurais fait une excellente générale moi », dit-elle à l’un de ses collègues. « Pour ça, il t’aurait fallu épouser un petit lieutenant et pendant vingt ans cavaler avec lui d’une garnison à l’autre. ».

Il n’est pas simple d’être une femme ou un homme dans le monde moderne quand on emprunte les sentiers non balisés. L’ajusteur a du mal à accepter qu’une femme soit au-dessus de lui professionnellement. À sa décharge, il a vécu une première expérience semblable qui a été un échec.

L’originalité de la vision du réalisateur tient dans le fait qu’il ne voit pas l’émergence des femmes dans la société comme un signe que les femmes voudraient remplacer les hommes ou même devenir des hommes, comme la naissance d’un monde ou règne l’indifférenciation sexuelle. Bien au contraire, c’est pour lui l’occasion rêvée pour hommes et femmes de réaffirmer leur dissemblance, pour les femmes de réaffirmer leur féminité et pour les hommes leur virilité. Une affirmation basée sur des choses plus profondes, plus essentielles que la place dans la hiérarchie

Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce film. On y évoque beaucoup les rapports de classe, les contradictions qui règnent encore dans une société censée les supprimer.

Il faudrait aussi se pencher sur les nombreuses scènes où les protagonistes sont à table. C’est dans l’échange et le partage autour d’un repas – des convives – que les choses avancent, que les conflits éclatent et se règlent.

Le film évoque aussi, certes du bout des lèvres, la corruption, le fléau de l’alcoolisme.

Un film d’une très grande richesse où même les très petits rôles ne sont pas négligés.

Nous avons parlé d’un film édifiant. Oui, on peut dire qu’il sert à éduquer les masses à vanter le socialisme. Mais son succès prouver qu’il n’est pas un simple film de propagande.

Le film (sous-titré en français)

 

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